Tuesday, October 25, 2016

L'écriture spontanée : une alternative à la méditation ?

J'aime bien me laisser inspirer par Buster Benson. Ma vision du monde dérive partiellement de son codex. Comme lui, j'aime bien faire des revues annuelles. Il a un côté geek assumé qui me plaît beaucoup. C'est donc avec un intérêt marqué que j'ai lu au début de cette année son article "Better than meditation", dans lequel il décrit les difficultés qu'il a rencontrées en tentant de faire de la méditation une pratique régulière. Il y explique aussi qu'il a finalement trouvé dans l'écriture spontanée une alternative sérieuse à la méditation, qui marche bien mieux pour lui.

Je me suis donc inscrit sur un site que Buster a lancé, 750 Words, et ai joué le jeu durant toute la période d'essai. Durant un mois, en avril 2016, j'ai écrit 750 mots par jour, tous les jours ou presque (29 jours sur 31, pour être exact). L'idée de l'écriture spontanée est de se forcer à écrire, sans arrêt, durant une durée ou un nombre de mots donnés. En l'occurrence, il s'agit d'atteindre 750 mots à chaque session d'écriture. On peut écrire sur tout ce qui nous passe par la tête. En cas de panne, il est possible d'écrire n'importe quoi, sans forcément respecter les règles grammaticales. Le but est de continuer à écrire, coûte que coûte. En réfléchissant le moins possible. Pas de plan. Pas de correction. Le texte doit être écrit du début à la fin, sans retour en arrière. 750 mots correspondent environ à trois pages. Pour ma part, je parviens à écrire cette quantité de mots en un peu plus d'un quart d'heure.

Le site 750 Words est bien réalisé. L'interface est épurée. L'éditeur de texte, la fonctionnalité principale du site, est simple. Un compteur affiche en permanence le nombre de mots écrits. Le texte est sauvegardé automatiquement, à intervalles réguliers. Aucun bug ne vient interrompre le processus d'écriture, sur lequel on peut se concentrer complètement. A la fin de chaque session, il est possible de visualiser des statistiques, sur la dernière session, mais également sur l'ensemble des sessions d'écriture. Les textes écrits restent privés, bien entendu. Il est possible de les exporter facilement.

C'est d'ailleurs ce que j'ai fait dès mai 2016. Passé la fin du mois d'essai sur 750 Words, il aurait fallu que je paie pour continuer à utiliser le site. J'ai trouvé le prix demandé (5 dollars par mois, soit 60 dollars par an) beaucoup trop élevé par rapport aux fonctionnalités proposées. J'aurais été prêt à payer 12 dollars par année, à la rigueur (et encore...). A 60 dollars par an, 750 Words se trouve juste en dessous du prix de Headspace, par exemple, qui propose pourtant beaucoup plus de contenu et de fonctionnalités.

Je me suis donc mis à utiliser le premier éditeur en ligne gratuit proposant un compteur de mots que j'ai trouvé : Dillinger. A la base, il s'agit d'un éditeur Markdown, mais il est possible de l'utiliser comme éditeur de texte pur (i.e. sans mise en page). Pour mesurer le temps, je tape juste "timer" dans Google (mode chronomètre). Enfin, je copie-colle le résultat dans un document Google Docs. C'est à peine plus compliqué que 750 Words. Evidemment, je n'ai pas de statistiques concernant mes sessions d'écriture, mais l'essentiel est là : l'écriture spontanée.

Depuis le mois de mai, j'ai également diminué la fréquence de mes sessions d'écriture, passant à une ou deux sessions par semaine, puis finalement à une session seulement par semaine. Comme je médite déjà chaque jour et que je tiens également à jour un journal personnel, il me paraissait trop contraignant de continuer à maintenir une session d'écriture spontanée par jour. Pour référence, mon journal personnel pour 2015 contient 155'851 mots, ce qui correspond déjà à 427 mots par jours.

Quelles sont mes conclusions concernant l'écriture spontanée ? Tout d'abord, je vois bien le lien avec le méditation. Dans un cas comme dans l'autre, il peut s'agir d'un moyen de "canaliser" nos "voix dans nos têtes". De les observer. De les accepter. Il s'agit aussi d'être le plus possible dans le moment présent. Dans la pratique, il me semble toutefois que l'écriture spontanée s'apparente beaucoup plus à un journal personnel, à un blog, qu'à une tentative de découvrir la véritable nature de notre esprit.

Il me semble que la méditation est également plus exigeante. L'écriture spontanée consiste à maintenir son attention, à être dans le moment présent, en continuant à faire quelque chose d'actif (i.e. écrire). La méditation, elle, consiste également à maintenir son attention, à être dans le moment présent, mais en "ne faisant rien". Ou, tout du moins, en se concentrant sur quelque chose qui est déjà là, comme la respiration.

J'ai toutefois retrouvé un plaisir certain à écrire de manière plus spontanée, comme je le faisais lorsque j'étais adolescent. Mon journal personnel est aujourd'hui devenu quelque chose de plus contraint. Je raconte ma journée, le plus souvent chronologiquement. J'y inclus quelques commentaires, plus libres. Je ne rédige pas de phrases. J'essaie d'être le plus concis possible. Il correspond presque à ce qu'on pourrait appeler en informatique un journal des évènements (event log, en anglais)

Pour moi, ces deux activités (écriture spontanée et méditation) sont donc complémentaires. J'ai retrouvé quelque chose qui m'avait manqué, l'écriture spontanée, qui vient désormais compléter mon journal personnel, plus concis, moins créatif. La méditation, quant à elle, est un exercice moins mécanique, peut-être, plus intellectuel, et qui s'intègre plus à ma vie de tous les jours (exercices réguliers tout au long de la journée).

Wednesday, October 5, 2016

Le purisme végétarien

Comme l'article "Souffrances bovines et esclavagisme", que j'ai écrit il y a à peu près une année, cet article est une réaction à une discussion privée autour du sujet du végétarisme. Cette fois-ci, il était essentiellement question de l'attitude de Sam Harris par rapport au végétarisme, ainsi que du purisme végétarien, c'est-à-dire l'attitude consistant à vouloir être absolument végétarien à 100%.

Voici donc ma réaction à quelques points importants :
  • La position de Sam Harris est étrange, voire incohérente. Globalement, je suis d'accord avec ces commentaires sur Reddit. Sam Harris explique, et je peux le comprendre, qu'il n'a pas envie d'être identifié comme un végétarien, car ce terme a une connotation négative. Selon lui, il y a un aspect religieux au fait de vouloir être absolument végétarien à 100%. Cette manière de penser me fait un peu penser à l'attitude de Neil deGrasse Tyson par rapport au qualificatif "athée". Tyson refuse d'être défini comme un athée, car il pense que ce terme est connoté et il préfère être présenté comme un scientifique, comme une personne qui vulgarise la science. Pourtant, Neil deGrasse Tyson ne croit pas en Dieu. C'est donc un athée, par définition. Il est un peu ironique pour Sam Harris d'avoir peur d'un label, lui qui est un des athées les plus médiatiques. Depuis quand se soucie-t-il de ce qu'on pense de lui ? Être végétarien à une époque où seule une minorité de la population l'est (en dehors de l'Inde, disons) est forcément connoté. Il est difficile de ne pas passer, au moins un tout petit peu, pour un militant. Cela exige un minimum de courage, peut-être, mais je n'en suis même pas forcément sûr. Difficile de penser que Sam Harris ne puisse pas faire cet effort relativement trivial (pour lui).
  • Le fait que Sam Harris se soit remis à manger du poisson, en particulier, est frustrant. Il est possible d'être végétarien et même végan sans le moindre problème de santé, si l'on fait un peu attention à ce que l'on mange. Je n'ai jamais vu qu'il était nécessaire de manger du poisson pour être en pleine forme. Peut-être est-ce le cas. Je ne demande qu'à être contredit sur la question. Peut-être que certaines personnes ont vraiment besoin de manger du poisson pour être en forme, mais, si tel est le cas, il me semble que des études scientifiques devraient pouvoir le mettre en évidence. Sam Harris passe plusieurs minutes à expliquer que les poissons et crustacés ont un système nerveux moins développé que d'autres animaux. Il ne parle pas du tout de ce qui l'a amené à conclure que sa fatigue était causée par un manque de poisson. A-t-il seulement cherché des alternatives (autres sources de protéines, compléments alimentaires, etc. ?).
  • Il est toutefois absurde de viser un végétarisme à 100% juste pour la "beauté du geste". Sur ce point, je suis complètement d'accord. Éthiquement, il vaut mieux être végétarien à 50% qu'à 10%. Il vaut mieux l'être à 95% qu'à 50%. Il est important d'encourager tout effort dans ce sens et je peux comprendre que quelqu'un essayant de devenir végétarien puisse être découragé par le côté religieux, absolu ou moralisateur des "végétariens à 100%". Cette manière de voir les choses peut d'ailleurs s'appliquer à toutes sortes de domaines : sport, méditation, Getting Things Done, recyclage, etc. Bref, toute activité dont on souhaite faire une habitude. En gros, il s'agit juste de ne pas être trop dur avec soi.
  • Il existe d'ailleurs un néologisme pour désigner les gens souhaitant diminuer leur consommation de viande : flexivore. Je l'ai découvert sur le lieu de mon travail la semaine passée. Je ne sais pas si cela clarifiera les choses. Je ne sais pas si cela prendra ou non. Peut-être que ce terme aura plus de succès que le "bright" censé remplacer un "atheist" soi-disant trop connoté. Qui sait ? Plus comique : faut-il appeler les fromages végan (ou faumages) "Gary" ?
  • Le taux de végétarisme n'est pas complètement linéaire. Je m'explique. Être végétarien à 20% n'est pas deux fois plus dur que de l'être à 10%. L'être à 100% n'est pas cinq fois plus difficile que de l'être à 20%. Je note en passant que, même en ne mangeant pas de viande volontairement, il m'est arrivé d'en manger involontairement. Cela m'arrivera probablement encore. Cela ne m'empêche pas de dormir. Donc on ne peut être végétarien à 100% qu'en considérant uniquement la consommation volontaire de chaire animale. Ce détail technique clarifié, il me semble que lorsque l'on se trouve dans une démarche motivée par des considérations éthiques, on tend naturellement vers un végétarisme "pur", sans forcément vouloir l'atteindre explicitement. La barre des 100% n'est pas forcément un but en soi, plus une sorte d'effet secondaire. La difficulté pour passer d'un végétarisme à 80% à un végétarisme à 100% n'est donc pas si grande qu'on pourrait le penser au premier abord.
  • Il ne faut toutefois pas sous-estimer la différence conséquentialiste entre être végétarien à 80-95% et l'être à 100%. Dans le contexte d'une réflexion éthique, cela me semble étrange de vouloir faire des exceptions, qui sembleraient indiquer que la souffrance animale, motivation de la démarche à l'origine, n'est pas si grave que cela. Il me semble qu'à terme, rester végétarien à 95% et ne pas faire le "pas final" donnerait donc un mauvais signal aux gens, en quelque sorte. Mais, à nouveau et j'insiste, le fait de faire des exceptions au début d'une démarche visant à devenir flexivore, végétarien ou végan devrait au contraire être encouragé, si cela facilite les choses.
  • Je me répète par rapport à mon dernier article, mais le végétarisme n'est pas un handicape social si important. Au début, il est possible d'oublier d'avertir quelqu'un chez qui l'on est invité que l'on est végétarien, mais, avec le temps, cela devient un réflexe et il devient vraiment impossible de ne pas y penser. Il est également toujours possible de proposer d'apporter quelque chose pour dépanner. Je me suis personnellement rarement retrouvé dans des situations embarrassantes (ou alors ma mémoire est sélective...). Enfin, oui, les végétariens et végans parlent parfois trop de leur démarche, mais cela ne doit pas empêcher non plus d'avoir un minimum de dialogue sur le sujet, sans trop insister et y passer une soirée entière. On peut rappeler les définitions (ex. différence entre végétarien, végétalien et végan), donner simplement les raisons de la démarche (traitement des animaux, etc.), puis passer à autre chose.
  • L'analyse de la situation imaginaire de la salade avec du bacon est incorrecte, à mon avis.  Une personne végétarienne ou souhaitant l'être commande une salade dans un restaurant. Le serveur arrive avec une salade contenant du bacon. Une analyse conséquentialiste possible est de se dire que, puisque le bacon est là, autant le manger. Exiger une nouvelle salade signifierait de toute façon que le bacon sera jeté. Le cochon est mort. Le bacon est là. Autant en profiter. Il s'agit là pour moi d'une analyse incomplète. Il ne faut pas oublier que le restaurant propose un service. Manger la salade avec le bacon, c'est donner un mauvais signal au restaurant. C'est encourager un mauvais service. C'est ne pas entrer dans une relation de discussion constructive (et polie) avec le serveur ou le cuisinier, qui devraient pouvoir apprendre de leurs erreurs, devenir plus sensibles à la question des végétariens. Ou des végans. Ou des personnes intolérantes au gluten. Ou au lactose. C'est aussi une question de respect, peut-être, celui du client. Enfin, pour quelqu'un qui mange encore occasionnellement de la viande, manger du bacon, c'est une possibilité. Pour quelqu'un qui est végétarien depuis 5, 10 ou 20 ans, c'est tout simplement incongru. L'habitude n'est plus là. Le goût est perdu. Et la souffrance qui se cache derrière le bacon est toujours là. Sans vouloir dramatiser, elle provoque un certain type de dégoût, auquel on ne s'habitue jamais.
  • Une fois encore, je me répète, mais il est évident que le végétarisme et le véganisme ne sont pas suffisants. Ce sont toutefois des solutions relativement faciles à mettre en pratique, tout comme le fait de recycler l'est dans certains pays (la Suisse, par exemple). Il ne faut pas le faire juste pour se donner bonne conscience, mais ce sont des démarches qui doivent s'inscrire dans quelque chose de plus général. Comme je l'expliquais récemment sur Facebook, dans un débat quelque peu mouvementé, je ne serais pas étonné que les végétariens et végans, en moyenne, soient plus sensibles à d'autres problématiques similaires (conditions de travail dans certains pays, écologie, etc.). Il s'agit en quelque sorte d'une porte d'entrée dans une réflexion éthique plus globale, certainement pas d'une fin en soi.