Sunday, September 10, 2017

Les podcasts et la crise de la quarantaine

Il y a quelques jours, je me suis retrouvé face à un sentiment de fatigue, presque d'ennui. Jusque là, rien d'étonnant : cela arrive à tout le monde, de temps à autres. Mais cette fois-ci, c'est arrivé à un moment bien précis. J'étais en train d'écouter un nouveau podcast, dont j'avais déjà entendu parler et qu'une collègue venait de me recommander : The Skeptics’ Guide to the Universe.

Au moment où j'écris ces lignes, il y a 635 épisodes disponibles. Par défaut, je me suis mis à écouter le dernier épisode, qui parle de Voyager, de recherche scientifique et de censure, etc. Des sujets très intéressants. J'ai bien envie de suivre ce podcast, du coup.

Mais voilà, je n'ai pas énormément de temps à consacrer aux podcasts. Je les écoute durant mon trajet entre mon domicile et mon travail, c'est-à-dire durant 30-40 minutes par jour, soit environ trois heures par semaine. J'ai déjà à peine le temps de suivre mes podcasts favoris (Waking Up et Very Bad Wizards). Comment trouverais-je le temps d'en écouter un autre ? Et, pire, comment pourrais-je écouter tous les épisodes déjà publiés ? Au rythme de trois heures par semaine, il me faudrait plus de sept ans pour tous les écouter. Sept ans...

Evidemment, ce serait la mauvaise approche. Le but n'est pas forcément d'écouter tous les épisodes d'un podcast auquel je suis abonné, mais, je ne sais pas pourquoi, c'est une idée difficile à accepter pour moi. Probablement pour plusieurs raisons. La première est mon côté collectionneur : j'aime bien pouvoir me dire que j'ai écouté tous les albums d'un artiste ou vu tous les films d'un réalisateur que j'apprécie. Je suis probablement aussi victime d'un phénomène de type fear of missing out (FoMO). Enfin, et surtout, comment déterminer quel épisode je vais écouter ou non ?

C'est ce dernier problème qui est le plus difficile à résoudre. Je suis devenu relativement strict quant aux films que je regarde, par exemple, mais, là, la solution est pour moi évidente : je filtre les films en fonction de leur note sur IMDb. A l'heure actuelle, je refuse de regarder un film en dessous de 7 sur 10. Et, entre un film à 7.5 et un film à 8.5, je choisirai plutôt le second. En règle générale. J'essaie de ne pas être trop à cheval sur ce point. Je suis même prêt à regarder les films moins bons (i.e. en dessous de 7 sur 10) de mes réalisateurs fétiches. Mais les sites tels qu'IMDb ou Rotten Tomatoes sont des guides très appréciables.

J'essaie d'avoir la même approche avec la lecture. Avant de lire un livre, je vais regarder sa note sur Amazon ou Goodreads. S'il s'agit d'un classique présent sur une liste type "les 100 livres que vous devriez absolument lire dans votre vie", c'est encore mieux.

(A ce sujet, Daniel Miessler s'enthousiasmait hier d'avoir trouvé un service de résumé de livres. Des résumés de quinze minutes de plus de deux mille livres non-romanesques (essais, etc.), cela semble tentant, mais notre cerveau n'a-t-il pas besoin de lire l'entier d'un livre pour véritablement l'assimiler ?)

Cette année, je suis devenu un peu plus strict avec les séries télévisées. J'ai arrêté de regarder plusieurs séries moyennes, que j'étais motivé à regarder jusqu'au bout essentiellement pour satisfaire le collectionneur en moi. Tant pis pour lui : je préfère désormais m'en remettre à IMDb, une fois de plus.

Le fait de pouvoir quantifier une activité a un côté rassurant. Oui, cela reste approximatif. Pour les notes IMDb, il ne s'agit que de moyennes, qui ne sont pas basées sur mes goûts personnels. J'ai d'ailleurs régulièrement des débats concernant ce sujet avec mes collègues, dont certains ont de la peine à comprendre mon obsession pour IMDb. Une collègue me demandait encore cette semaine : "Tu ne préfères pas te faire une idée toi-même ?" Oui, dans un monde idéal (i.e. avec un temps à disposition infini), je préférerais regarder un film sans me soucier de ce que les autres en pensent.

Mais nous ne sommes pas dans un "monde idéal". La vie est courte. Le temps est limité. Il faut donc être sélectif. Pour cela, il faut des critères, aussi imparfaits soient-ils. Un nombre, unique, est donc bien pratique. Il suffit ensuite de choisir un seuil, qui peut être adapté à volonté et qui divise du coup de manière binaire les films ou livres en deux catégories : ceux qui en valent la peine et les autres. De manière imparfaite, on est bien d'accord, mais c'est mieux que rien.

J'ai l'impression de traverser une phase obsessionnelle, de ce point de vue. J'ai de plus en plus envie d'appliquer cette philosophie à tous les domaines de ma vie.

Est-ce la fameuse crise de la quarantaine ?

(Petite anecdote : est-ce une coïncidence si Lewis Trondheim a sorti "La Vie comme elle vient", que je viens de lire hier, à l'âge de quarante ans ? Je ne pense pas... C'est le tome "le plus fort, le plus dense, le plus émouvant" de Lapinot. Il y est question de la mort, de la nécessité de profiter de chaque instant de la vie, de ne pas perdre son temps avec les mauvaises personnes, avec les mauvaises activités.)

L'année passée, grâce à Peter Singer et William MacAskill, je découvrais le concept d'altruisme efficace. Je donne désormais mon argent essentiellement aux associations qui "en valent la peine" (selon la classification de GiveWell).

Je le réalise désormais : mon attrait pour Getting Things Done (GTD) depuis une dizaine d'années répond également à ce besoin. Cette méthodologie permet de séparer mes tâches et projets en deux catégories : ce qui est important et ce qui peut attendre.

Même pour les voyages, je raisonne de plus en plus en termes de "voyage que j'ai envie de faire tant que j'en ai encore le temps". Et TripAdvisor reste pour moi une source indispensable d'informations pour décider ce que je vais visiter ou non dans un lieu, ainsi que dans quel restaurant je vais manger ou non, à la grande incompréhension de certaines personnes dans mon entourage, à nouveau.

Donc, oui, cela en devient une obsession. Comment puis-je appliquer cette idée aux concerts, pièces de théâtre et expositions que je vais voir ? Aux articles que je lis ? Aux cours en ligne que je suis ? Aux flux auxquels je suis abonnés sur Feedly ? Aux gens que je suis sur Twitter et Facebook ?

Je vois de plus en plus les choses en termes de problèmes d'optimisation (au sens mathématique du terme). Donnez-moi une fonction de coût et je vais chercher à la minimiser. Donnez-moi un score et je vais chercher à le maximiser.

Face au déluge d'information, de textes à lire, de choses à regarder, de choses à faire, d'attention à accorder, cela semble l'approche la plus rationnelle.

Cependant, comme plusieurs articles que j'ai lus récemment le rappellent ("Why Your Brain Needs More Downtime" et "How to Live More Wisely Around Our Phones"), il ne faut pas oublier de laisser notre cerveau se reposer. Méditer régulièrement. Comme j'ai eu l'occasion de le faire plusieurs fois cette semaine : n'écouter ni podcast ni musique dans la voiture. Éviter de sortir son smartphone dès que l'on a deux minutes de temps libre. Car ne rien faire, ou faire quelque chose de complètement improductif, n'est pas forcément une mauvaise utilisation de son temps. C'est simplement reconnaître que notre cerveau n'est pas fait pour être constamment stimulé intellectuellement ou émotionnellement. Il lui faut du temps pour assimiler, pour trier, pour inconsciemment trouver des solutions à des problèmes ou être créatif.

Pour en revenir aux podcasts, je ne sais pas quelle est la meilleure solution. Certains épisodes de mes podcasts favoris sont parfois longs, certainement trop longs. Je n'en retiens pas toujours quelque chose de valeur. Autrement dit, le retour sur investissement (en temps) n'est pas toujours à la hauteur. Mais comment filtrer les épisodes ? Il n'y a pas de site permettant de noter les épisodes individuels d'un podcast (à ma connaissance). Il n'est pas toujours facile de déterminer, en parcourant les commentaires sur Reddit (par exemple), si un épisode en vaut la peine ou non.

De ce point de vue, je rejoins Alessandro sur le fait qu'écouter certains podcasts n'est pas toujours une bonne utilisation de son temps ou, tout du moins, la meilleure utilisation possible de son temps. Je reste par contre très peu convaincu que, toutes choses égales par ailleurs, en moyenne, une heure passée sur Facebook puisse être une meilleure utilisation de son temps qu'écouter un épisode, n'importe lequel, d'un podcast de qualité. Mais c'est surtout dû : 1) à ma frustration grandissante par rapport à Facebook (un article en cours d'écriture suivra sur le sujet) et 2) au fait que j'écoute des podcasts uniquement au volant de ma voiture et que mes options sont donc assez limitées dans ce contexte (alternatives : écouter de la musique, ne rien écouter et réfléchir à quelque chose, ne rien écouter et ne réfléchir à rien, etc.).

En première approche, je vais donc essayer d'être un peu plus sélectif par rapport à mes podcasts favoris. Ce qui est certain, c'est que si Sam Harris consacre encore un épisode entier à Donald Trump ou à l'Islam, je pourrai en profiter pour écouter autre chose. Dans la pratique, les choses seront probablement un peu plus nuancées et subtiles que cela. Que faire face à un épisode concernant un sujet ou une personne avec lesquels je ne suis pas familier ? J'imagine qu'il faut simplement accepter que, parfois, il y a un risque associé au choix d'une activité donnée et que ce risque n'est tout simplement pas quantifiable.

En écrivant cela, je suis bien conscient que je dois paraître froid, calculateur et hyper-rationnel, mais c'est probablement parce que la plupart des gens ne réalisent pas à quel point le monde dans lequel nous vivons est quantifiable, mesurable, comparable. Je pense que, la plupart du temps, toute cette quantification, toutes ces comparaisons, se font inconsciemment. Souvent de manière intuitive, selon des heuristiques qui nous échappent. Il y a, selon moi, un intérêt à faire ces choix de manière un peu plus conscientes, tout en acceptant les limites de l'exercice.

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